LA DÉRIVE DE COLOMB ET LE NAUFRAGE DU PROJET NOUVEAU MONDE
Written by Papi Zo on December 5, 2024
Temps d’écoute : 10 minutes
Les sempiternels débats sur la découverte de l’Amérique s’alimentent de façon récurrente de faits inédits qui viennent déconstruire la fameuse légende de Christophe Colomb. De sorte que de nos jours la thèse de Yvan Sertima[1] tend à se confirmer que la plupart des anciennes civilisations se sont déjà croisées de ce côté ci de l’atlantique bien avant que l’occident eut l’idée d’y aller chercher subsistance.
N’empêche que l’aventure du Génois en cette fin du XVème siècle ouvre une phase dans ce nouveau cycle d’obscurité initié à partir du XIIème siècle.
La notion du nouveau monde sous-tend une perception eschatologique évidente. Annonce-t-elle une sortie des enfers ou une fuite de châtiment dans une vaine tentative d’échapper à un trop lourd karma. Question problématique s’il en est qui ’à notre connaissance n’a pas été prise en compte dans les diverses approches de ce qu’on a coutume d’appeler modernité occidentale.
Le déplacement progressif du centre du monde de l’orient à l’occident allait placer l’Amérique en une position particulière. Inscrire cet événement dans l’eschatologie monothéiste s’avère un exercice exégétique aussi difficile qu’important pour rendre compte de l’avènement de la modernité. C’est-à-dire du processus de désacralisation du monde à partir duquel toutes les horreurs sont devenues possibles.
Enjeu de conflit entre les monothéismes dans leur version dégénérée en religion d’état, la chrétienté a conquis l’Amérique comme rampe de lancement de l’expansion de l’occident. Mis au service du pouvoir temporel, le monothéisme desséché a pavé la voie à la désacralisation du monde par le matérialisme.
Il est à remarquer que les diverses branches de l’arbre de vie se seront retrouvées bien avant Christophe Colomb au rendez-vous sur la terre mère. Et les indigènes eux-mêmes ont été conduits par leurs prêtres dans la demeure occultée en attendant l’heure. Une lecture subtile de l’histoire révèle facilement les traces de ceux qui, de partout, ont entrepris cette grande traversée. L’époque moderne n’a vu que l’arrivée précipitée d’une fournée emportée par l’entité qui a conçu le plan de retarder le grand événement. Elle a su puiser, dans le reste des impuretés et des ombres des œuvres successives , pour ériger une barrière de ténèbres et déployer plus tard un monde de reflets déformants, à fin d’entretenir l’illusion d’un monopole de la civilisation blanche sur la lumière.
Le paradoxe est que l’Amérique ne semble pas apparaître dans les grands récits sacrés monothéistes. En ce sens on dira que l’Amérique n’est pas mentionnée parce qu’il n’est pas concerné, ou du moins de façon directe et ouverte. C’est-à-dire suivant une exégèse littérale et exotérique, la démarche consisterait alors à chercher dans les traditions ésotériques si mention est faite de cette « quatrième » partie du monde où l’aventure humaine allait connaitre une accélération inédite. Généralement porteurs de signification profonde, les noms sont souvent à même de nous indiquer des pistes d’intelligibilité des phénomènes. L’esprit n’est jamais en dehors de la lettre mais dans son sens premier. C’est en ce que dit la lettre avant toute interprétation que réside l’esprit, effacement de l’ego que seul permet l’état d’illettrisme, celui du prophète. Il en résulte que ce qui nous est donné, transmis, ou que nous appréhendons, n’est qu’interprétation. Aussi bien les paroles que les non-dits. Il n’est de silence que ce que nous n’entendons pas, eu égard à notre capacité d’écoute. Acceptons donc qu’à l’état actuel de notre intellection, l’Amérique serait absente, aussi bien du Coran que dans les hadiths ou commentaires des savants. Au demeurant si nous l’ignorions, comment aurions-nous pu le saisir dans l’écrit ?
Pourtant ….
L’attestation de la présence de musulmans noirs en Amérique précolombienne, rend compte d’une prise de conscience du basculement du pôle de la civilisation de l’orient en occident, de l’ancien au nouveau monde, par l’Islam africain. Il n’a donc pas échappé aux visionnaires inspirés du livre saint, et des dits du messager de Dieu, le sens de cette parole « le soleil se lèvera à l’ouest », qui a sans doute motivé les expéditions maritimes au-delà de la « mer des ténèbres », suivant ce parcours insolite de la lumière. Que ce soit « dans une mare boueuse » ou « chez ceux qui ne comprennent aucun langage, » les doués de cœur percevront la brillance de l’astre du jour.
Christophe Colomb en initié à sa manière, fut convaincu jusqu’à son lit de mort qu’il s’est trouvé, à la vue de Quisqueya devant la porte du paradis. On dit que les habitants de l’île paradisiaque « adoraient le soleil ». Quand le regard est celui d’Iblis[2], on comprend très bien une telle restriction de sens. Des yeux intérieurs suggèrent, qu’au-delà de la manifestation physique, se tient La Lumière des cieux et de la terre. Voile en effet qui enfonce dans l’aveuglement, ceux qui suivent leurs passions. Signe pour qui de la méditation sur la création arrive à « Notre Seigneur n’a pas conçu tout cela en vain », et contemple dans chacune de ses œuvres, la présence de Celui qui est au-delà de toute perception.
Pour ce qui nous est intelligible, « la découverte » du nouveau monde marque le début d’un cycle, ou du moins le devrait-il par rapport à une phase qui a pris fin aux environs du XIIème, XIIIème siècle. Alors c’aurait été le renouvellement de toute chose. Une précipitation voulue nous a valu un jour cosmique d’occultation.
La fracture dans le métabolisme de la nature produite par l’ère technologique, ne résulte pas simplement d’un mauvais choix de mode de production lié à l’appât du gain d’une catégorie sociale, mais relève d’une bifurcation anthropologique, en rapport au paradigme du grand partage,[3] fondement épistémique de la modernité. Expression de la rupture du lien organique des êtres et de leur environnement. A partir de ce moment, seul subsiste de rapport de l’homme à la nature, une relation médiatisée par la production. En somme, l’acte de prédation soutenu nécessairement par une ontologie négatrice de la continuité de conscience des êtres. Ce monopole exclusif de subjectivité que s’attribue l’individu moderne, est au principe d’une vision du monde qui a produit toutes les catastrophes contemporaines. Nous parlons de cette phase extraordinaire de l’aventure humaine ouverte par l’intervention des européens, qui n’inaugure pas moins que l’avènement d’un nouvel Age géo-historique, celui de l’anthropocène. C’est-à-dire le retournement de l’humanité contre elle-même, poussée à déséquilibrer le système de la terre, afin de la rendre inhospitalière pour elle-même.
Au profit de qui ?
Avec le post naturalisme on entre de plein pied dans l’ère de la substitution et du triomphe des visages pâles, êtres sans âmes qui entament l’abandon du corps humain gênant et désormais superflu pour revêtir leur propre enveloppe de matière appropriée à leur fréquence. Les récents progrès techniques, qui ouvrent la voie au Trans humanisme, en pervertissant l’animisme pour en faire le fondement d’un géo constructivisme, procèdent de cette dynamique démoniaque. Aboutissement apparemment paradoxal, et pourtant logique du paradigme de la modernité, qui au retour d’une césure radicale de l’homme et de la nature, en arrive à une confusion totale des deux, subsumés dans une nature hybride, qui ne laisse place ni à l’un encore moins à l’autre, pour consacrer le triomphe de la machine. « La seule chance offerte [à l’humanité] serait de reconnaître que, devenue sa propre victime, cette condition la met sur un pied d’égalité avec toutes les autres formes de vie qu’elle s’est employée et continue de s’employer à détruire.[4] »
D’où cette expression d’un pessimisme extrême « Le monde a commencé sans l’homme et il s’achèvera sans lui. [5] »
Sauf si d’un vertigineux sursaut de conscience l’humanité se déprend de la civilisation de l’Anthropocide pour retrouver la voie de l’équilibre et de l’harmonie.
[1] Ivan Van Sertima « Ils y étaient avant Christophe Colomb »
[2] Iblis : nom de Satan avant sa chute du Paradis.
[3] Ph.Descolla.’ Par-delà nature et culture’’
[4] (L. Strauss, 1955).
[5] (ibid). S’il s’agit de l’homo oeconomicus moderne, il a tout à fait raison. Mais « C’est nous qui hériterons la terre » clame le Coran. La bible précise « Les justes hériteront la terre et y demeureront éternellement. »