LA LUMIÈRE NOIRE
Written by Radyo Makandal Sove on January 1, 2025
Temps de lecture: 10 minutes
O haïtien.ne quel que soit ta teinte épidermique, ta croyance religieuse ou ton opinion politique. Écoute, voici ton histoire.
Si le propre de la révolution est de donner naissance à des individus dont l’existence même est occultée par les ombres répandues par un pouvoir oppressif, ou de rendre visible une masse maintenue dans l’anonymat, la révolution haïtienne, en sortant de l’obscurité la majeure partie de l’humanité que l’ordre suprématiste projetait de garder indéfiniment dans l’abjection, demeure la première à mériter ce nom.
De quoi s’agit-il ?
Du choc des subjectivités constitutives de l’univers chaotique des plantations, surgit l’énergie émancipatrice guidant, au-delà des esclaves racisés, l’humanité enchainée hors des liens de la servitude. C’est la Lumière noire des subalternes, éclairant le chemin de la remontée dont Aïti Quisqueya est la source, qui fait dire tantôt qu’elle est le phare du monde à venir, tantôt la matrice de la liberté.
Ce type de voyage dans l’histoire se veut en même temps un grand pèlerinage à travers soi , pour réaliser les différentes étapes qui conduisent de l’abêtissement esclavagiste à la liberté.
Il en sera ainsi à tout moment décisif de notre parcours de peuple, chacun aura à reprendre pour lui-même le cheminement qui conduit de la plantation, donc du corps de l’esclave, à l’émancipation-libération, dans celui glorieux de Makandal.
Le destin de la première souveraineté politique noire des temps modernes, est de participer à l’affirmation de la présence négro-africaine dans le monde, avec pour effet “d’accroire la densité et la maturité de la conscience humaine”. Penser Haïti, c’ est avant tout méditer ce lieu autre, en bifurquant la dérive anthropologique amenée par la civilisation technicienne, au prix d’ une violence physique et symbolique inédite, qui ne cesse de saccager toutes les formes de vie sur la planète
L’IMPASSE CRITIQUE.
« Lors même qu’une société est arrivée à découvrir la piste de la loi naturelle qui préside à son mouvement … Elle ne peut ni dépasser d’un saut, ni abolir par des décrets les phases de son développement naturel. »[1]
II est vrai que les crises haïtiennes sont toujours sans précédent, les unes davantage que les autres, et que notre histoire est jalonnée de carrefours et de tournants, mais à l’évidence nous traversons aujourd’hui un moment décisif où il nous faut poser les questions essentielles, aller à la racine des choses pour interroger non pas nos formes d’organisation sociale, nos choix institutionnels, encore moins nos partis pris politiciens, mais le sens même de notre existence de peuple.
Il est ici question de la genèse du peuple/nation haïtien, de son fondement métahistorique pour dégager le sens de sa présence au monde et son mode d’inscription dans l’histoire.
Une nation est une entité mue par une perspective historique, expression de l’ensemble des aspirations, conscientes ou inconscientes, manifestes ou latentes à la base de sa constitution. En ce sens, nous souscrivons à l’idée que ce sont les aspirations profondes des femmes et des hommes (en connectivité assumée ou ignorée avec les autres êtres) qui sont et qui font l’histoire. Ainsi, seule la compréhension de sa mission permet d’appréhender valablement l’histoire d’une nation, qui, elle-même, s’inscrit dans celle de l’humanité au cours d’un cycle donné. L’aborder de manière isolée ne présente que peu d’intérêt tout en risquant de la déformer. II est plutôt question d’une totalité, engageant l’ensemble de l’humanité, au sein de laquelle les destins singuliers prennent leur sens. Certes il est quand même possible, au moyen des sciences modernes, d’arriver à des demi-vérités à partir de micro-histoires, tel l’isolement d’une partie de la réalité à fin d’analyse ; mais on connaît les limites de ce genre d’approche.
L’espèce dans sa diversité est solidaire d’une commune destinée malgré les apparences. De quel tout, ces singularités sont-elles parties? Telle est la question essentielle. Il y a donc, comme on dit, unité de but dans la diversité des parcours dans la grande aventure humaine.
Les intérêts divergents, le degré d’harmonie sociale, les disparités socioéconomiques, la périodicité plus ou moins rapprochée des crises, le niveau de stabilité et de fonctionnalité des institutions, etc. ne sont que les manifestations de la mission dans son processus de déploiement. Elles cristallisent, réfléchissent, traduisent dans notre réalité physique la manière dont ce dessein est en train de se réaliser. On peut analyser les faits dans leur manifestation ou dans leur essence. Le mieux est de les saisir de manière holistique, en dévoilant leur essence dans leur manifestation. De toute façon, la réalité finit toujours par nous renvoyer à l’essence des choses, à force de demeurer irréductible à notre perception extérieure limitée.
La construction collective est surdéterminée par un système de garants méta-sociaux, servant de ciment d’intégration et de cohésion collective. Ce système symbolique est l’expression de la nature de la mission historique de la communauté en question. Le collectif dit sa capacité à assumer son destin du fait même d’avoir pu capter le message. Mais il s’agit d’une potentialité à actualiser dans le temps. En cela même consiste son histoire. Autrement, il devient une entité anhistorique qui dévie de son cours avec toutes les conséquences sociales que cela implique.
Le collectif produit, assume celui/celle qui s’élèvera au niveau requis pour atteindre les profondeurs où le message/programme indiquant cette mission historique devient disponible à son entendement. Le plus difficile est la réception de la communication en minorant l’interférence de l’ego. Puis, vient l’ingéniosité de transcription dans le langage contextuel de la communauté. Le caractère succinct, condensé, court du propos exprime en général son élévation et sa profondeur. Il dit aussi la portée de la mission dans le plan de l’évolution humaine.
Le message transmis au Bois Kay Imam est de ce type. En relevant le caractère transcendant de cet appel à la liberté, l’Imam Boukman le pose comme garant méta-social du vivre ensemble des Ayisyen. Il est dit que le Seigneur se conforme à la disposition intérieure du serviteur, à travers lequel il se perçoit Lui-même, à la vérité. Il en est ainsi du Messager qui se manifeste à travers son message selon la capacité, l’intelligence de sa communauté.
Le hadith authentifié qui enjoint de parler aux gens selon leur niveau de réceptivité est éloquent à ce sujet. Aussi nul unanimisme ne vient obscurcir les nuances et brouiller les variations qui à loisir s’adaptent au cheminement du message et de celui qui le porte. Les altérations ne sont pas de nature à modifier l’essence mais seulement la forme, ainsi l’écorce est exposée aux contingences et non la substance. L’envoyé ne s’adresse pas du même lieu à sa communauté et à l’ensemble de l’humanité. Celui qui l’a missionné non plus. Le Seigneur des mondes.
La cérémonie Bois Kay Imam, surgissement de l’humanité de l’Ayisyen, a été résurrecteur de l’Indien du génocide et libérateur du Nègre des chaines de l’esclavage. Manifestation d’une nouvelle entité libre, jaillissante de vie et de lumière. L’univers entier approuve l’apparition de cet être cosmique, initiant une nouvelle dimension de l’homme, un autre mode d’être au monde : l’Ayisyen.
[1] Marx, le Capital, livre I, œuvres I.